22-22 Mar 2022 Paris (France)

Presentation

L’orientation comme champ de pratique et de recherche a été dès ses origines, traversée par la question de la justice sociale et de la lutte contre les inégalités dans l’accès aux formations et au marché du travail. En effet, Frank Parsons (1909) (avec d’autres réformateur·rices) considéré comme le père de l’orientation professionnelle « moderne » voyait dans cette pratique une réponse à une société qui connaissait de profonds changements pouvant générer des inégalités (Savickas & Savickas, 2019). Des tests psychotechniques visant à évaluer les intérêts et les aptitudes des individus ont été élaborés avec l’objectif d’identifier les capacités individuelles et mettre en adéquation les sortant.es de plus en plus nombreux.ses du système éducatif avec les besoins en main d’œuvre d’un marché du travail plus segmenté. Si l’orientation prend ses origines dans un souci de justice sociale, celle-ci n’en a pas toujours été le principe directeur (McMahon, Arthur & Collins, 2008). La question de la justice sociale s’est progressivement éloignée des préoccupations centrales du champ de l’orientation (Duru-Bellat, 2012). Mais depuis 10 ans, les inégalités s’accentuant dans le monde, la justice sociale est de nouveau considérée comme l’un des domaines de recherche prioritaires dans le champ de l’orientation scolaire et professionnelle (Savickas, 2013).

Pour mieux cerner les enjeux de justice associés à l’orientation, trois points seront abordés. Quelques apports de la philosophie, discipline centrale pour étudier la justice et l’injustice sociales seront évoqués. Puis, nous proposerons un point sur les approches récentes de l’orientation qui mobilisent ces notions. Pour finir, les objectifs du colloque et des ateliers thématiques seront présentés.

Les conceptions de la justice sociale s’appuient sur des positions philosophiques variées. (Hooley, Sultana, Thomsen, 2018). Certaines approches comme celle de Nancy Fraser (2011) attribuent un rôle central aux systèmes d’éducation et de formation pour promouvoir une société plus juste et durable. L’orientation aurait un rôle clef pour permettre aux jeunes et aux adultes d’interroger leurs représentations et stéréotypes susceptibles de limiter leurs choix de vie et sources de discriminations. La finalité d’une société juste passerait, pour Fraser, par la participation au marché du travail et la possibilité offerte à tou·tes de contribuer au débat public. De ce point de vue, la justice sociale s’appuie sur trois grandes dimensions. La première est la redistribution économique qui correspond en une réallocation plus équitable des ressources socio-économiques. Cette dimension fait écho aux situations d’exploitation au travail, de précarité et à l’exclusion économique d’une partie de la population (Standing, 2017). La deuxième est la reconnaissance sociale. Elle s’appuie sur les formes d’injustices culturelles ou symboliques construites socialement et diffusées par les communications et les représentations qui conduisent à les percevoir comme la norme. Ces injustices de reconnaissance prennent la forme d’interprétation des rôles et des places qu’il serait possible ou non d’occuper dans une société et renvoient aux raisons qui feraient que certaines personnes seraient plus légitimes à les occuper que d’autres. Enfin, la troisième dimension est la représentation. Cette dernière renvoie à la participation politique à la société et aux possibilités pour chacun·e de réclamer la justice pour soi-même et sa communauté. Ces trois pivots de la justice sociale que sont la redistribution économique, la reconnaissance sociale et la représentation politique devraient être articulées pour augmenter la justice sociale globale (Rice, 2018). Michaël Sandel (2016) estime que les questions de justice sociale évoquées telles que le fait Fraser sont indissociables des identités, des appartenances et des valeurs qui conduisent les personnes à souhaiter vivre une certaine vie. La justice sociale comprend une dimension subjective à prendre en compte et qui implique des échanges et des négociations permettant la compréhension des positions et des attentes mutuelles. Il souligne que ces questions doivent être abordées dans le cadre d’une éducation morale du.de la citoyen.ne (Sandel, 2019) à laquelle les pratiques d’orientation peuvent contribuer. L’approche par les « capabilités » théorisée par le philosophe indien Amartya Sen permet tout particulièrement de renouveler les conceptions et pratiques en orientation en intégrant des questions de justice sociale (Picard, Olympio, Masdonati, Bangali, 2015). Pour Sen (2010), la capabilité est une capacité individuelle ou collective pouvant être réellement mise en œuvre grâce aux conditions favorables existant dans un contexte. L’exercice de la capacité nécessite donc des conditions favorables qui permettent de convertir un potentiel en capacité réelle. Un objectif de l’orientation conçue dans une perspective de justice sociale serait donc le développement des capabilités des individus en prêtant une grande attention à proposer des contextes d’éducation à l’orientation et des dispositifs d’orientation favorables au développement des capabilités. Il s’agirait donc de déplacer le regard de l’individu vers « l’individu en contexte » et d’imaginer des environnements d’éducation et de travail favorables au développement des capabilités des individus et des groupes.

Ces diverses approches peuvent éclairer les spécialistes de l’orientation. Elles mettent en exergue que l’orientation est une pratique sociale éducative et formative permettant à chacun·e de renforcer ses capacités à évoluer dans une société en changement. Elles soulignent que la construction identitaire des personnes dans une perspective juste et équitable implique la contribution au bien commun et à la préoccupation constante des opportunités offertes à tou·tes de disposer de ressources éducatives, sociales et économiques suffisantes leur permettant de vivre une vie décente.

Plusieurs modèles de l’orientation intégrant explicitement cette question de justice sociale. L’approche émancipatrice de l’orientation conçue par Hooley, Sultana, Thomsen (2018, 2019) et aussi défendue par Blustein (2011 ; Blustein, Kenny, Autin & Duffy, 2019) considère l’orientation dans sa mission politique, d’émancipation, de développement d’un pouvoir d’agir notamment chez les personnes les plus démunies ou vulnérables. L’approche de « l’orientation verte » développée par Peter Plant (2014) vise à imaginer des méthodes et pratiques promouvant la justice environnementale : d’une part en conduisant les individus à une prise de conscience des impacts sur l’environnement de leurs choix professionnels, d’autre part en amenant les conseiller·ères à veiller à ce que les parcours de formations envisagés pour les individus contribuent à la préservation de l’environnement. Il serait important de considérer désormais la réussite professionnelle en termes environnementaux et sociaux et pas seulement en termes économiques. L’orientation gagnerait ainsi à l’émergence d’une réflexion permettant de rendre les métiers et les activités professionnelles, plus respectueux de l’environnement, notamment quand ils·elles amènent les jeunes à penser leurs activités futures ou la création de nouvelles entreprises. Cette approche centrée sur la promotion de la justice environnementale est totalement liée aux questions de justice sociale. Ces deux ensembles de préoccupations ne peuvent être conçues indépendamment les unes des autres. D’autres approches centrées sur le rôle des narrations (Savickas, 2011 ; di Fabio & Bernaud, 2018) et les dialogues (Savickas, et al., 2009 ; Guichard, 2008 ; Guichard, Bangali, Cohen-Scali, Pouyaud, Robinet, 2017) ont également montré leur utilité pour aider les individus à faire évoluer leur identité et à renforcer leur pouvoir d’agir sur leur environnement naturel et social, en déconstruisant certaines croyances et en imaginant d’autres scenarii de vie et de société.

Ces modèles cherchent à moins mobiliser les ressources psychologiques individuelles (comme c’était le cas dans les conceptions passées de l’orientation) que des collectifs réunis, dans leur rôle d’acteurs sociaux et politiques. L’orientation est alors conçue comme un ensemble d’actions collectives et communautaires de lutte contre l’oppression, l’exploitation, les inégalités, la précarité mais également le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité. Conçues ainsi, les interventions en orientation pourraient alors permettre aux personnes de mieux comprendre leur situation sociale en les aidant à construire une conscience critique et à lutter pour améliorer leur situation. Les conseiller·ères sont de ce point de vue des informateur·rices sur les droits mais aussi des défenseur.es de personnes qui peinent à faire entendre leur voix. La question du renforcement des capacités des individus et de la mise en œuvre de contextes éducatifs et de formation capacitants apparaît centrale pour que les pratiques d’orientation deviennent plus justes socialement. Le programme de recherche développé par le réseau Unitwin UNESCO Interventions en Life Design (Conseil, Orientation, Education) pour le travail décent et le développement durable)[1] avec ses 18 partenaires internationaux dont fait partie l’INETOP du Cnam vise à approfondir et diversifier cette perspective, à imaginer de nouvelles pratiques et des dispositifs capables de s’adresser aux personnes plus démunies ou plus marginalisées que l’orientation ne le fait habituellement. Ce réseau se donne également pour mission de contribuer à faire de l’orientation une courroie de transmission et de déclinaison des Objectifs de développement durable de l’ONU[2] dans le cadre des pratiques d’accompagnement à l’orientation des jeunes et des adultes.

À l’heure des bouleversements professionnels et sociétaux engendrés par la crise du covid-19 où les inégalités sociales s’accroissent (Lambert, Cayouette-Remblière, 2021), le rôle des recherches et des pratiques en orientation scolaire et professionnelle est plus que jamais interrogé dans la lutte contre les inégalités et la promotion de la justice sociale dans nos sociétés. Cette journée de colloque vise ainsi à contribuer à une réflexion globale sur le rôle de l’orientation comme levier de changement social. Elle est centrée tout particulièrement sur les populations ne bénéficiant pas ou insuffisamment des services d’orientation. Il s’agit des personnes souffrant de handicap, des personnes qui font l’expérience de la migration et des personnes non qualifiées.

Ci-dessous : développement en trois courts paragraphes des problématiques associées à chaque atelier

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